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Extrait de ma nouvelle dans le recueil: Vivre, le premier jour du monde d'après, Les disconfinés, collectif d'auteurs, Ã©ditions Les passagères:

 LE PREMIER JOUR DU MONDE D APRES  DISPONIBLE EN LIBRAIRIE ET SUR LE SITE DES PASSAGERES

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Image de Pawel Czerwinski

Claire Létoffé-Mercier auteur,

Vivre, le premier jour du monde d'après;     Flânerie versaillaise

​

A Georgette A, dont c’est l’histoire vraie


  La gueule de bois. C’est comme ça que je me suis réveillé ce matin-là, pourtant baigné de soleil et du chant omniprésent des oiseaux qui se poursuivaient d’arbres en arbres. Des zébrures vertes. Ah oui, les perruches à collier avaient dû se multiplier, évidemment. Moi, j’étais sonné. Cet été n’avait jamais été aussi beau. Rutilant. De l’herbe partout, entre chaque interstice de pavés disjoints, des plantes saxifrages qui délitaient patiemment les pierres des routes. C’était beau, une explosion de couleurs partout. Un feu d’artifice végétal.

Et ce silence ouaté comme celui d’un jour de neige. Les gens qui sortaient prudemment, sur la pointe des pieds, afin de ne pas déranger ceux qui s’étaient endormis. A jamais.

Je remontais l’avenue de Saint Cloud, si tiède sous ce soleil de juin. Je croisai quelques visages connus. Pas assez. Moins qu’avant. Nous osions à peine nous saluer, comme si rien n’était fini, tout pouvait encore recommencer.

​

Sur une plage blanche , romance Bookelis

(de Granville aux Ã®les Chausey): 


L’homme poussa un soupir déchirant et appuya son front brûlant sur la vitre du train Paris-Granville. La demoiselle assise juste en face de lui était à son appréciation tout à fait exquise. Il avait toujours aimé les rousses et leur peau veloutée, délicatement lumineuse. Celle qui était assise en face de lui correspondait tout à fait à ce type. Visage fin, peut-être un peu trop allongé et yeux noirs fendus, elle lui plaisait infiniment. Elle était bien un peu morose, sans doute et il était évident que même une ombre de sourire aurait adouci son visage si elle avait daigné en esquisser un.

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Image de Louis Paulin

Nouvelles: lieux versaillais

Grise mine


Mercredi 7 novembre :

Ce jour-là, jour de repos sous un froid petit soleil d’hiver versaillais (donc royal forcément), nous avons décidé avec mon mari, de prendre ma petite voiture brinquebalante pour une journée culturelle. Nous choisissons comme destination ce qui pour nous est le grand nord, la petite ville de Meru dans l’Oise. Arrivés devant le très joli musée de la nacre que je souhaitais visiter depuis longtemps, deux gendarmes, dont un très beau (ça n’a aucun rapport me direz-vous) nous demandent les papiers du véhicule pour un contrôle de routine.

Très confiants, nous les sortons sereinement. Nous avions les permis de conduire, nos cartes d’identité, la carte grise de la voiture…tout bon. Du moins le croyais-je naïvement ; oui j’ai toujours su garder un côté très frais.

-Dites-moi ma petite dame, votre contrôle technique, il est un peu ancien tout de même.

Là, mon mari me jette un regard expressif et atterré, signifiant clairement « Tu n’as pas fait ça quand même ??? C’est pas vrai, dites-moi qu’elle n’a pas fait ça ? Â»

Oups. Si, je crois bien que j’ai dû faire ça. Cela fait effectivement un moment que je ne suis pas passée rue Saint Charles, à l’atelier du contrôle technique. Ca m’est complètement sorti de la tête. Oh, oh. Je déglutis péniblement sous le double regard braqué de mon mari et du gendarme, celui qui était beau. L’autre se désintéresse visiblement de mon cas. Il a bien raison. Je me sens comme un chaton avec la tête dans le pot de confiture.

Bon, il n’y a plus qu’à assumer, c’est ma faute pleine et entière, je vais payer l’amende.

-Nous gardons aussi la carte grise du véhicule.

-Mais comment je vais faire pour la récupérer ? J’habite à Versailles !

-Pas de problème, nous l’enverrons à la gendarmerie de Versailles.

Nous rentrons, penauds, notre promenade bien gâchée par cette rencontre, et mon mari pas très content de moi, il faut bien le dire. Mais sachant comme je suis près de mes sous et que de toute façon rien ne peut me faire plus de mal qu’une attaque au portefeuille, il ne râle pas trop. Arrivée à Versailles, je paye aussitôt l’amende, prends rendez-vous rue Saint Charles, et trois jours après, le contrôle technique de la discorde et du délit est enfin effectué. Aucun problème n’est à signaler. Je pense que les choses s’arrêteront le mercredi suivant, dès que j’aurais récupéré ma carte grise. Nous oublierons cette stupide promenade.


Mercredi 14 novembre : Je me rends, je ne sais pourquoi, à l’hôtel de police de Versailles ; sans doute l’avais-je inconsciemment repéré lors de mes trajets pour aller au travail. Oui j’ai oublié de préciser que j’ai un petit job à temps plein, pas à Versailles même, et que le mercredi est mon seul jour de disponible et de repos dans la semaine.

Je suis reçue fort courtoisement, mais on m’annonce que ma carte grise n’est pas ici. Ils me conseillent d’aller à la gendarmerie de Versailles et m’expliquent où je dois me rendre.

Très bien. J’avais justement mis des baskets de sport, mue par une prescience quasiment occulte. Il m’arrive d’avoir d’étranges prémonitions du pire, que je ne souhaite à personne car elles se réalisent. La preuve.

J’arrive devant une porte fermée et un interphone. Oui, malgré la porte close et le mur de béton quasiment aveugle que j’ai en face de moi, cela correspond à l’adresse que l’on m’a donnée. Je sonne à l’interphone et me plie en deux pour parler car il est placé très bas (sans doute pour des enfants ( ?)).

-Crrrr…oui…c’est pour quoi ?

J’explique mon histoire avec grande patience. Je n’oublie pas qu’à la base, c’est ma faute, je n’avais qu’à ne pas avoir oublié mon contrôle technique. Ainsi ma carte grise serait encore dans ma poche.

-Crrrr…non…au courant de rien…elle n’est peut-être pas encore arrivée. Mais elle a peut-être été envoyée en préfecture…devriez aller voir…

Là, je sens que cette histoire tourne en eau de boudin. Vu l’heure déjà tardive, le temps que je me rende à la préfecture, elle sera fermée, il sera trop tard. Je rentre chez moi, et me dis que tout sera réglé la semaine prochaine.


Mercredi 21 novembre : Ok, me voici à la préfecture de Versailles. Il y a foule, je dois faire la queue un moment, je ne sais pas trop vers quel guichet me rendre. Une jeune fille présente dans le hall m’indique le bon endroit et pousse même la complaisance jusqu’à aller voir elle-même s’il y a, quelque part, des nouvelles de ma carte grise. Elle est charmante, mais de nouvelles, il n’y en a aucune. Elle m’apporte les papiers de renouvellement de carte grise en cas de perte, action qui est payante. Je ne suis pas très contente, car, après tout, ce n’est quand même pas moi qui l’ai perdue, cette carte grise et mon humeur commence à afficher la même teinte que ladite carte.

J’ai toujours mes baskets de sport –au passage, mais comment font les personnes handicapées dans ce genre de galère ? Je commence à penser beaucoup à eux. Du coup, direction le commissariat. Là, un charmant gendarme m’ouvre la porte, me reçoit, et se donne un mal de chien pour retrouver ma carte. Il passe une dizaine de coups de fils inter-départementaux, réellement, fait tout ce qu’il peut, pour finir par m’avouer son impuissance, malgré toute sa bonne volonté. Comme il est tard, je rentre chez moi.


Mercredi 28 novembre : Désabusée, j’apporte à la préfecture le papier de perte de la carte grise. Là une autre demoiselle du hall me dit :

-Oui mais là, il manque le tampon X.

Là, je l’avoue, je commence à craquer, une larme perle au bord de mon œil.

-Et où puis-je trouver ce tampon ?

-A la police de Versailles.

J’aime bien marcher et tente de me faire une raison, d’autant que maintenant les policiers de garde avec leurs mitraillettes commencent à me connaître. C’est un peu moins effrayant de passer devant eux maintenant qu’ils me font un petit sourire. Si les choses continuent ainsi, nous allons bientôt nous appeler par nos prénoms. Me voilà rendue à  l’accueil de la police que cette histoire commence presque à faire sourire eux aussi en me tamponnant le papier. Cependant, vous l’aurez compris, comme cela m’agace de payer pour une chose que je n’ai pas perdue, je retourne à la gendarmerie. Oui, je suis tenace et optimiste. Et peut-être le gentil gendarme qui s’est occupé de mon cas la dernière fois aura-t-il des nouvelles. Las, ce n’est pas lui qui répond, mais une voix de femme. Je conçois que les femmes hésitent à ouvrir la porte à l’heure actuelle, néanmoins je crois être courtoise et physiquement peu menaçante (si, si, là aussi, je me suis fait une raison, je suis physiquement peu menaçante, il y a un moment où la réalité te rattrape).

Me revoilà donc pliée sur l’interphone.

-Mais quel est votre problème, madame ?

A l’idée de recommencer mon histoire, d’étranges pensées me viennent à l’esprit. Mais je reprends patiemment, jusqu’à ce qu’elle m’interrompe (et tout cela est vrai).

-Mais pourquoi avez-vous donné votre carte grise, madame ?


Là, j’avoue, elle m’a tuée. J’ai été jadis bien élevée, quand un gendarme me demande mes papiers, je les donne. Enfin je les donnais car cela pourrait changer. Toutes sortes de pensées me passent par la tête. Etaient-ce de vrais policiers ? Mon papier est-il parti dans un trafic international de grande ampleur en direction des pays de l’Est ? J’ai des visions de ports clandestins de nuit, où défilent d’interminables cargos. J’attends désormais que la police roumaine me téléphone pour m’informer que je suis à la tête d’une puissante branche du trafic albanais de voitures.

Je n’ai même pas répondu. Au final, comme je voulais retrouver mes mercredis (vous vous rappelez, mon jour de repos, durant lequel je liquide aussi d’habitude du travail à la maison), j’ai rempli le papier de perte de la carte grise à la préfecture, après une heure de queue.

Je l’avoue, je remâchais de sombres projets qui avaient tous pour trait commun de tous me conduire au final à l’institut psychiatrique Marcel Rivière, à la Verrière, lorsque la demoiselle de l’accueil, tout sourire et voulant m’être agréable, me demanda :

-Mais enfin, qu’est-il arrivé à votre carte grise, madame ? Vous l’avez perdue, c’est bien cela ?

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Femme trinquant

Terrassé

                                                            


Mais que diable pouvait-elle bien faire là ? Il avait toujours eu l’habitude d’inviter des filles à usage unique, mais il n’avait pas pensé à cela. Son pote Benji la couvait déjà du regard, envisageant clairement de mettre bientôt, si c’était réalisable sans se faire coffrer, les deux mains dessus.

Elle était jolie à croquer, venue avec une copine pour siroter gentiment un panaché. Petite robe bleue et lunettes de soleil dans l’échancrure, sourire ultra-brite, des fossettes d’enfer.  Une friandise. Une poupée. Si Benji se montrait trop insistant, il se déciderait peut-être à faire quelque chose. Peut-être. Mais il n’avait plus la foi. Le genre humain en venait à l’exaspérer totalement. Il préférait profiter tranquillement de la rue de Satory et de ses terrasses, en garçon. Les gens défilaient, pressés, dans la rue bondée. Certains jetaient un coup d’œil distrait à l’agence immobilière ou à la librairie, mais à cette heure-là, ils ne s’attardaient pas à musarder. S’ils avaient des loisirs, ils s’arrêteraient pour consommer.

La terrasse bleue du Via Veneto inspirait à une bière tranquille. Il regrettait même d’être venu avec son ami.

Les filles les avaient bien repérés et s’étaient rapprochées par instinct grégaire, flairant le danger. Du bout de leurs dents blanches de jeunes carnassières, elles grignotaient les chips du petit saladier en prenant des fous rires nerveux sans raison apparente. L’heure s’avançait. Benji, pataud, multipliait les sourires lourds.

-On peut vous offrir quelque chose ?

Regard offusqué des minettes. Elles firent même mine de décaler légèrement leurs chaises afin de d’éloigner d’eux. Cela lui donna envie de rire.

-Mon pauvre Benji, tu sais, la vie est un naufrage.

Son regard oscilla entre leur souffrance de gars solitaires, en réalité plus maladroits qu’autre chose, et l’ennui teinté de curiosité morose des filles. Benji, avec une constance méritoire, tenta de faire son numéro habituel de chevalier blanc, garant de la pureté et de la beauté du monde, qui aurait évidemment donné n’importe quoi pour protéger les donzelles du chaos ambiant (le pauvre garçon ignorait encore qu’on ne peut tenter de séduire deux filles à la fois-il faut choisir dès le début !). Les filles haussèrent de jolies épaules méprisantes, et ne consentirent à se déplacer chacune leur tour que pour entrer dans le Via Veneto. La jolie fille aux lunettes de soleil faillit même trébucher en passant près d’eux. Ils l’entendirent maudire ses talons. Elles se rejoignirent et recommencèrent leur babillage inepte, du moins pouvait-il en juger de son point de vue d’homme.

Il décidèrent de se consoler avec des énormes glaces maison au chocolat, mais il était un peu tard pour les cookies frais dont une boutique avait la spécialité un peu plus loin dans la rue. Au moins, la soirée ne serait pas perdue. L’air était doux, des musiciens de rue chantaient une sérénade aux étoiles impassibles.

Il donna le signal du départ à un Benji dépité.

-Purée, encore une soirée loupée. Oh pardon, vieux, je disais pas ça pour toi. Bon, on reviendra, l’été arrive et y’a encore plein de terrasses à faire dans cette rue.


Il régnait une chaleur épaisse dans son studio de Saint Louis. Il ouvrit grand ses fenêtres à la brise nocturne. Dehors, une chouette ululait sa joie d’être en vie. D’étranges ombres de chats dansaient une sarabande effrénée sur les toits, en une savante prouesse d’équilibre. Il se dit qu’il avait bien mérité une bonne douche et lança au hasard ses vêtements à travers la pièce sommairement meublée. Sa chemise s’écrasa en rond par terre, manquant de peu la chaise qu’il avait visée. Son pantalon suivit le même chemin aléatoire. Il eut juste le temps dans la pénombre de voir un minuscule carré blanc, plié en quatre, en tomber de la poche.

« Où pourrais-je vous revoir ? Â» La fille en bleu, 06 40 32 12 18.

Le sourire lui revint instantanément.

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Payer au magasin

Money

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J’ai toujours aimé me délasser à la piscine de Montbauron. Cela m’empêche de trop cogiter lorsque mon couple bat de l’aile. L’eau m’enveloppe et me porte, me détend. Je préfère ne reconnaître personne dans ces cas-là, la piscine est un plaisir solitaire, comme souvent ceux des femmes. Cela me permet de régresser agréablement, sans penser à Jean-Pierre. Jean-Pierre ! J’y pense déjà trop en temps normal. Nous en sommes arrivés au point où il me pourrit chaque instant de ma vie. Le gentil jeune homme timide que j’avais épousé il y a dix ans est devenu un despote domestique d’une autorité redoutable. C’est vrai qu’il gagne de l’argent, qu’il nous assure un certain confort à moi et à ma fille, Colombe. C’est vrai qu’il est exigeant avec lui-même, comme il l’est avec les autres. Mais il ne pense plus qu’à l’argent, l’argent le dirige, l’argent est son maître. Tout ce qu’il fait va désormais dans ce sens, la moindre de nos conversations, la moindre tentative de rapprochement de ma part, car de la sienne, voilà belle lurette qu’il n’y en a plus.


Voilà que je pense encore à lui ! Je sors, ruisselante, de la piscine, consciente de certains regards masculins posés sur moi. Mais si je décide quelque chose, ce n’est pas pour m’encombrer à nouveau d’un homme ! L’air frais de la butte me fait du bien. J’aime cette descente vers la rue de Montreuil et le marché Notre-Dame, devant la cathédrale. C’est là que nous nous sommes mariés en grande pompe, ma robe blanche balayant les marches qui prennent un reflet doré le soir. J’aime à croire qu’en ce temps-là, nous étions sincères tous les deux. Mais que nous étions jeunes ! Maintenant, ses amis m’insupportent, mes vacances en Afrique du sud m’exaspèrent et notre superbe maison à véranda et à plus d’un million d’euros me sort par les yeux. J’ai l’impression d’être un poisson rouge condamné à tourner à vie. Cinq ans que j’attends que Colombe grandisse ! J’aime ma fille et je n’ai aucune envie de la faire souffrir. Mais j’ai envie de vivre. Follement. Indécemment. Elle comprendra peut-être. Colombe est si intelligente. Elle souffre de toute façon de me voir malheureuse. Elle le sent. Ce n’est pas une vie. J’ai un petit salaire qui peut permettre de vivre. Pas luxueusement, tant pis. C’est là où Jean-Pierre s’est trompé lorsqu’il a cru que je vénérais le luxe. Il ne parle plus que de cela, ne pense plus qu’à cela. Je n’aime plus cet homme.


Je me surprends à envisager l’après. Je pourrais aller chez ma sœur, à Vélizy. Etrangement, elle me l’a déjà proposé en plaisantant. Mon impassibilité de façade n’a pas du tromper grand monde, à l’exception de mon propre mari. Dommage. Je réprime un soupir. Je ne veux pas être jugée par les passants de l’avenue, les mères de famille heureuses, les retraités épanouis, les jeunes étudiants du lycée hoche, plein d’espoir et de confiance en l’avenir. Tous ces gens sourient, confiants. Quant à moi…


J’arrive en bas de Montbauron et entame l’avenue de Saint Cloud. Le vent froid soulève mes cheveux de ses doigts glacés, en une douce caresse mortifère. J’ai peur, car maintenant je sais que je vais quitter cet homme.

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Lavande sèche

Rencontre

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Rencontre

J’aime, que dis-je, j’adore le marché Notre Dame. C’est mon endroit de prédilection pour faire mes courses : l’ambiance, la beauté du lieu, les produits que j’ai tous envie d’acheter, mais pour mon porte-monnaie, il vaut mieux que je me contienne.
Ce matin là, j’étais partie légèrement vêtue afin de ne pas m’encombrer, en sandales, sans parapluie et sans vêtement imperméable, contrairement aux avis raisonnables de mon mari. Mais le secret d’un couple qui dure n’est-il pas de ne pas s’écouter l’un-l’autre ?
Aussi lorsque le ciel s’est assombri au-dessus de ma tête, ai-je dû faire appel à tout mon fond d’optimisme rémanent pour me dire que les nuages anthracites qui s’accumulaient au-dessus de ma tête allaient décidément passer au large.
Cependant, j’avais tort. Loin de s’éloigner de moi et du passage des deux portes où je stationnais, les nuages s’obscurcirent, se regroupèrent, et les premières gouttes tièdes d’un gros orage d’été commencèrent à s’écraser en larges pièces autour de moi et de mon petit chariot en osier. Je me sentis alors…vulnérable, et pris la sage décision de me réfugier dans les bâtiments du marché Notre Dame.
Au moment où j’arrivai à me réfugier vers l’étal du boucher, éclata un terrible orage à la pluie tiède, tout en bourrasques, éclairs fulgurants et mousson diluvienne. Ce qui était impressionnant, c’était la baisse de luminosité qui accompagna cet orage. On aurait cru la nuit la plus sombre en plein jour. J’appelai chez moi pour rassurer et dire que j’étais à l’abri, mais on s’entendait à peine avec le bruit épouvantable des gouttes d’eau sur le toit. Je me renfonçai dans une encoignure, afin d’éviter la poussière d’eau qui rebondissait sur l’asphalte de la rue. Là, dans l’obscurité, se tenait une petite femme blonde que je n’avais pas vue jusque là. Pâle, mutique, elle me dévisageait de ses grands yeux à la teinte indéfinissable, oscillant entre vert et gris ardoise. Je me demandai comment entrer en contact avec elle, car il est toujours plus sympathique de se parler entre personnes destinées à passer un moment ensemble. Le boucher était charmant et me proposa de fermer la porte afin d’éviter les éclaboussures. La caissière m’adressa un grand sourire, dans son box à encaisser les paiements.
Je regardai ma voisine, élégamment sanglée dans son petit tailleur passé de mode.
-Quel orage ! Vous croyez que ça va durer longtemps ?
-Ca ne durera pas.
Son mince filet de voix était bien timbré, apaisant.
-Vous en êtes sûre ?
-Je le sais.
Dehors, l’orage redoublait de violence, dans un bruit de fin du monde.
-Ce n’est qu’une ondée, m’apaisa ma charmante voisine.
-Vous croyez qu’il faut que je demande à mon mari de venir me chercher ? Mais bon, il travaille, il n’a pas que cela à faire.
-Oh non, ce n’est pas la peine.
Sa voix décroissait, presque inaudible maintenant, sous les coups de boutoir redoublés du vent. Nous étions à l’abri, dans des bâtiments solides et entourées de nourriture et de bonnes bouteilles au besoin. J’avais instinctivement très bien choisi mon refuge.
Finalement, l’orage consentit à s’éloigner et la pluie finit par décroître. Ce n’était plus qu’un petit crachin inoffensif, qui mouillait à peine le bas des chaussures. Le soleil n’était cependant pas encore revenu. Ma voisine me fit un joli sourire, un petit signe de la main amical et s’éloigna au dehors. Prudente, j’attendis encore un peu.
Le boucher vint réouvrir la porte et je le remerciai de son accueil si hospitalier.
-Mais comment la petite dame a-t-elle fait pour sortir, alors ?
-Quelle petite dame ? Vous étiez seule.
La caissière au loin nous observait en haussant un sourcil interrogateur.
Je partis rapidement et sans épiloguer avant de passer définitivement pour une folle.

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Dégustations gratuites
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Tentative

En apparence, tout est parfait.


Adrien fréquente Laure, ce qui satisfait profondément ses parents. Le milieu social de la demoiselle correspond au sien, elle est jolie, cultivée, agréable.  Elle habite un appartement confortable dans un immeuble affreux du quartier Saint Louis. La population du quartier est mixte mais la réfection des immeubles laisse à penser qu’un investissement dans ce quartier de Versailles n’est pas aberrant. C’est en tout cas ce qu’on pensé les parents de Laure, il y a une trentaine d’années de cela. Et cela aussi séduit Adrien.

De plus, il partage avec Laure des goûts communs, de bon aloi, auxquels s’ajoute une pointe de snobisme corrigée par une autodérision mordante. Ils s’entendent bien.


D’ailleurs, ils sortent demain soir au cinéma, soirée durant laquelle ils n’auront rien à se dire, si ce n’est quelques banalités destinées à combler les fissures que le silence trace dans leur relation. Adrien le sait bien, leur brillance intellectuelle ne se révèle qu’en présence de leurs amis. Ensemble, c’est le désert.

-Laure ? Ca tient toujours pour demain soir ? Bien sûr, un film d’auteur, qu’est-ce que tu crois, que j’allais t’emmener au Multiplex voir le dernier blockbuster ? Arrête ! A demain alors, fais-toi belle.

Adrien raccroche son portable d’un air songeur. Au-dessus de lui, les hauts arbres de l’avenue de Paris courbent leurs branches frissonnantes. Une dentelle d’ombre veine son visage d’obscurité. Il s’assoit sur un des bancs, songeur. Il ne peut pas s’empêcher d’avoir cette attitude avec elle. C’est puéril ! Il se met la pression tout seul avec l’impression que sa famille toute entière le lorgne par-dessus son épaule. Il doit être à la hauteur. A sa hauteur. Il ne peut pas se permettre de déroger, de se laisser aller et de risquer de l’effrayer. Il soupire profondément. Il adore les films du Multiplex. Il trouve épuisant d’être à la hauteur tout le temps. Il aurait adoré se rapprocher de la jeune fille, qu’il désire ; il a vingt ans, il désire toutes les femmes ! Mais Laure le glace, elle ne sait pas l’encourager. Lui, immobilisé par une éducation trop stricte, créatrice de timides pathologiques, n’a osé au bout d’un an de sorties communes, que lui enlacer délicatement la taille. Résultat assez léger.

Il se décide à se diriger vers la gare des Chantiers. A Sèvres, l’attend Anna, qu’il connaît depuis six mois. C’est une femme mûre, d’expérience, qui sait ce qu’elle veut. Avec elle, il ose tout…elle lui a fait découvrir l’amour joyeux, décomplexé, sans plans sur la comète. Avec elle, il se sent bien. Avec elle, il peut tout. Et pourquoi pas finalement ? Ses parents tiqueraient bien au début s’il la leur présentait, ce serait peut-être même le drame, mais ils finiraient bien par s’y faire. Il tient d’autant plus à elle qu’elle ne lui demande rien, même pas ce dernier rendez-vous. C’est lui qui a pratiquement dû l’implorer. Un genre qu’elle se donne.  

Anna et ses longs yeux maquillés de brun. Anna et ses lèvres rouge passion. Soudain, il a hâte qu’arrive le train. A destination, il ne la remarque pas tout de suite, perdue dans la foule des usagers. Mais sa silhouette se reconnaîtrait entre mille. Elle lui sourit mais ses yeux restent froids. Elle reste à deux pas de lui, lui qui voudrait la serrer dans ses bras.

-Ecoute, c’était vraiment très bien, j’en garde un souvenir attendri, mais il faut que ça s’arrête, non ? Je dis ça pour toi aussi. Je ne vais pas te refaire le speech sur la différence d’âge, c’est ridicule.

Chaque mot lui tombe sur l’estomac comme un parpaing. Il ne cille pas, essayant de comprendre le sens des mots durs de la femme.

-Voyons, mon petit, pourquoi as-tu insisté pour qu’on se revoit aujourd’hui ?

Pourquoi ? Il ne le sait plus bien lui-même. A travers l’énorme boule qu’il sent monter dans sa poitrine, il comprend qu’il a voulu chercher autre chose qu’une vie toute tracée. L’aventure ! Une passion hors normes qui aurait transfiguré l’homme qu’il sent palpiter en lui. Et rien ! Il n’y a que du vide, de la satiété dans les yeux de cette femme. Sans doute l’a-t-elle déjà remplacé par un ou plusieurs amants. Il a dérangé sa vie.

Tout est joué d’avance.


Alors il retourne, direction Sèvres et le Val d’Or.


Au moins, je me serais débattu, pense-t-il sombrement.


Demain, devant son film, il prendra la main de Laure et la gardera dans les siennes. Peut-être même ira-t-il plus loin ? Il a tenté de dévier sa route.


Combien n’en font même pas autant.

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